Manger en prison. La cuisine pour reconstruire des liens sociaux

Le CMH a accueilli pendant une semaine Lia Seneor pour un stage d’observation de seconde. Dans ce cadre, elle a rédigé un billet à propos d’un podcast sur l’alimentation en prison qui vient alimenter de façon très pertinente le blog Solal.

L’épisode du dimanche 17 mars 2024 « Dans le ventre des prisons » de la série de podcast « Les Bonnes Choses » par Caroline Broué présente l’alimentation dans les prisons dans un échange entre plusieurs intervenants aux points de vue différents : Madeleine Kullmann et Lucie Inland ont écrit respectivement un mémoire et un livre sur le sujet après de longues années de recherche ; Philippe A. Leclercq est un ancien détenu et chef cuisinier ayant écrit un livre de recettes réalisées en cellule ; et Sandrine Sollier est cheffe au restaurant Les Beaux Mets situé dans la prison des Baumettes à Marseille.
Ensemble, ils mettent en avant l’importance capitale de la nourriture au-delà de son aspect nutritif. En effet, si la majorité des détenus estiment qu’ils ne sont pas satisfaits par la nourriture servie, ce n’est pas sur le plan diététique, puisque les repas servis sont pensés pour être bons et sains, à l’image de tous les plats des collectivités publiques (écoles, etc). Le problème vient de la dimension sociale de l’alimentation qui leur est retirée, bien que primordiale. Pour beaucoup, la nourriture est liée à la culture, or ce qui est servi en prison ne correspond que rarement à ce que l’on mange chez soi. De plus, l’imposition de menus très restreints (un menu « normal » avec viande, et un végétarien), et des horaires (11h30 pour le déjeuner et 17h30 pour le diner pour des raisons de logistique) impactent fortement la perception du repas servi. A cela s’ajoute la perte des contacts avec les autres (la famille aussi bien que les codétenus) lors de ces temps supposés de commensalité, puisque le repas est servi dans les cellules et les détenus y mangent seuls.
Pour pallier ces contraintes, certains détenus décident de cuisiner eux-mêmes leur repas, en se construisant avec ingéniosité des réchauds et en « cantinant » des aliments et des ustensiles à la cantine de la prison, sorte d‘épicerie où l’on trouve de tout. Ils peuvent ainsi améliorer leur nourriture, mais surtout retrouver ce côté social de l’alimentation. La cuisine leur permet en effet de reprendre contact avec l’extérieur et leurs souvenirs, mais aussi de tisser des liens forts avec les autres détenus, qui s’échangent des recettes, conseils et ustensiles. De plus, les détenus soulignent qu’en prison, cuisiner est aussi un moyen de passer le temps et de s’échapper, penser à autre chose. La cuisine peut aussi être mobilisée pour permettre à certains de gagner un peu d’argent et de se réinsérer dans la vie professionnelle, comme dans la prison des Baumettes à Marseille où un restaurant gastronomique embauchant des détenus et leur apprenant le métier a ouvert en 2022.

Bibliographie :
Lucie Inland, Surveiller et nourrir : Comprendre ce que la prison a dans le ventre, Nouriturfu, 2023, 131p.
Philippe A. Leclercq, Cuisine entre 4 murs : Excursion carcéro-gastronomique, Par Défaut, 2000, 131p.